Alors là, quelle journée aujourd'hui, cher lecteur !
Lever à 5h30. Douche, petit déjeuner continental en râlette parce que toute la maisonnée dort encore. Robert-à-la-langue-inconnue se lève juste au moment où nous partons, à 6h30. Il nous déblatère quelques mots parmi lesquels je comprends "bon voyage", "bonne journée" et "soleil" dans un large sourire, nous serre la paluche avec sa pelle à pizza de main et nous décollons. Retour à St Margaret's Hope pour attraper le ferry.
C'est fou, quand même. Le soleil est déjà un peu haut dans le ciel au moment où nous mettons le contact. je m'en souviens parce que je l'avais dans le visage en m'asseyant au volant. Il faisait déjà jour à 5h. Je sais, je l'ai déjà dit, mais c'est une surprise quotidienne de voir autant de lumière aussi tôt. Une surprise et une souffrance, aussi, un peu (quand on veut dormir).
Le ferry nous ramène sans encombre à Gills Bay d'où nous partons, direction la station essence la plus proche car le réservoir est déjà vide. On nous le siphonne, la nuit, ou quoi? 1,20£ le litre. Environ 1,30€. Cette fois, c'est moi qui m'y colle car aucun employé ne vient pas nous servir. Ah oui, j'allais oublier : on a frôlé le drame (le vrai, cette fois) sur le bateau, lorsqu'un coup de vent a soulevé la sangle de l'appareil d'Olivier qui se l'était mise autour du coup. Il était à ce moment au-dessus du bastinguage, l'appareil dans le vide, et a failli le lâcher. Petite minute d'introspection...
Puis nous mettons le cap sur Tongue. Drôle de nom pour une ville. Mais pour un prof d'anglais, c'est un arrêt quasi-obligatoire ! (et pourtant, je n'ai pas pensé à me faire prendre en photo devant le panneau). Non, je suis joueur, lecteur curieux, et je te laisse le soin de découvrir ce que signifie ce mot si tu ne le connais pas.
PASSING PLACES
Nous avons pour cette étape 100 km de route à faire. Mais cette fois-ci, nous prenons notre temps. Le ciel se dégage peu à peu et même s'il reste chargé de nuages, c'est une belle journée qui a l'air de s'annoncer. Bon, en ce moment, pas trop, tout est couvert, mais tu vas voir, lecteur, que j'aurai raison.
La route est magnifique. A Tongue, il y a un estuaire : c'est le Kyle. Le Kyle of Tongue, quoi. Et il y a une route sur digue qui le traverse. Mais il y a également une petite route qui le contourne, et c'est celle-là que nous prenons car d'après notre guide, elle vaut tous les détours du monde.
Nous nous engageons sur une route à voie unique comme les Ecossais en sont friands dans le nord. Cette single-track road pourrait poser problème, me diras-tu, et je te donnerai raison, lorsque quelqu'un arrive en face. Mais l'Ecossais est fin et a astucieusement prévu des niches, des passing places en VO, de chaque côté, à intervalles plus ou moins réguliers, pour que les voitures s'y glissent afin de laisser passer les autres en face. Tantôt, la niche est à droite, pour ceux qui arrivent, tantôt à gauche, pour nous. Nous avions rencontré sensiblement le même système en Islande.
Seulement en Islande, on conduit à droite, comme les gens normaux. Lorsque deux voitures arrivent face à face, la logique veut que la plus proche d'une niche s'y loge et attende que l'autre passe. Ou si la niche est du mauvais côté de circulation, elle avance à son niveau sans s'y engager afin que l'autre s'y mette. C'est très stratégique. Mais lorsqu'il faut en plus gérer le changement de sens de conduite, c'est une autre chanson.
C'est moi qui conduis aujourd'hui. Et cette petite route qui contourne le Kyle est très étroite, mais très belle. Je regarde à droite, oh! et à gauche, il y a une grosse montagne, devant, Ben Loyal, qu'est-ce qu'elle est belle, et hop je commence à mordre le bas-côté. Je vais le mordre toute la journée, c'est incroyable et un peu énervant à la longue. Puis à un autre moment, je me laisse griser par la situation et insensiblement je me re-cale sur la droite de la route étroite. Bon, ne le dis pas à Olivier, il n'a pas dû s'en rendre compte - sinon il me l'aurait dit - d'autant que cela ne se voyait pas trop vu que la piste était à une seule voie, mais j'ai bien changé de côté.
Le paysage est magnifique. La route est parfois dégagée, juste accompagnée de deux lignes de végétation sur les bas-côtés, et d'autres fois ce sont des arbres qui forment carrément une voûte au-dessus de nous. Avec Ben, la montagne, en toile de fond, plus les moutons, les fleurs et la large étendue de l'estuaire, le tableau est inoubliable.
ENCORE PLUS
Et ce n'est pas fini. Nous achetons à manger dans la seule boutique du patelin qui fait poste également puis nous poursuivons notre route d'est en ouest vers Durness, notre prochaine étape. C'est là que nous assisterons demain aux Highland Games, les jeux de force et d'endurance typiquement écossais.
Entre Tongue et Durness, il y a une trentaine de miles. Quarante cinq kilomètres que le GPS nous prévoit de parcourir en une grosse demi-heure. Il se base pour cela sur les limitations de vitesse des routes, en considérant que nous roulons toujours au maximum autorisé.
Ce pays est différent : il est tout simplement impossible de rouler à 60m/h (un peu plus de 90km/h) sur ces routes à voie unique sans se tuer dix fois sur vingt mètres. Elles sont pour la plupart en très bon état, certaines récemment refaites, mais entre les dos d'âne, les croisements, les niches, sans oublier le paysage, c'est plutôt du 40, voire du 30 que nous faisons.
Nous mettrons finalement près de 2h pour faire ces 45km. Mais ma zette, que les panoramas sont beaux sur cette route! Promets-moi, lecteur, si jamais tu voyages en Ecosse, d'aller découvrir la côte nord. Elle est merveilleusement sauvage. Nous avons l'impression d'être revenus deux ans plus tôt, sur les routes en Islande.
Le même paysage : de la lande sauvage, des montagnes pour le grandiose, non pas des fjords mais des lochs, ici, ou des estuaires (qu'ils appellent quand même des lochs) et des couleurs... à faire pleurer un nuancier de peintre! Dès que le soleil dégaine un rayon ici ou là, l'endroit touché prend une teinte vive, profonde, d'une incroyable pureté : la mer passe du bleu profond au bleu turquoise, les verts offrent des palettes de nuances uniques, les chardons en fleur sont autant de points mauves parsemés sur ce tableau idyllique. Nous nous exclamons à chaque virage tellement tout concourt à rendre ce paysage unique.
Les moutons sont en liberté, comme en Islande, et on partage la route avec des boules cotonneuses qui bêlent à qui mieux mieux et courent devant la voiture dès qu'on s'approche. C'est trop marrant.
Nous nous arrêtons toutes les 2 ou 3 minutes. Impossible de rouler d'une traite tellement chaque virage nous offre à chaque fois un nouveau panorama. Nous tombons sur de la lande désertique, de la rocaille, des bosquets d'arbres, des vallons (la route est incroyablement vallonnée), des crêtes, elle déroule son ruban gris partout, et nous montons, nous descendons et l'ensemble des gens finissent tous par s'arrêter faire des photos à tel endroit alors que d'autres les dépassent avant d'eux-mêmes se faire re-dépasser par les premiers qui vont plus loin.
Nous faisons deux ou trois fois demi-tour, même, pour n'avoir aucun regret de ne pas avoir photographié ce mouton ou cette vallée. Oui, lecteur ébaubi : demi-tour.
LA PLAGE
Et nous tombons dessus. Cette première plage nous apparaît comme beaucoup de choses ici au détour d'un virage. J'ai le temps de déclencher ma GoPro, ventousée sur le pare-brise, pour ne rien louper. Encaissée entre deux falaises éloignées, une simple étendue de sable blanc rose (les falaises sont rose, me fait remarquer Olivier) que mouille une eau calme bleu turquoise. Juste le bruit des petits rouleaux d'eau limpide. Incroyable de voir ça ici, en Ecosse. Une plage qui pourrait rivaliser avec les plus belles plages des Caraïbes ou des Philippines, et pour avoir vu les secondes, je n'exagère pas. Sur cette plage, d'une falaise à l'autre un câble à été tiré et des gens font de la tyrolienne. Je jette un regard à Pentax qui me le retourne. "On a déjà fait le top à Jodhpur, je pense..." et il a raison, mais quand même!
Nous y restons une petite heure, à se promener et prendre des photos. Puis nous reprenons la route, et nous recroisons les mêmes têtes, les mêmes motards, chacun s'arrête dès qu'un endroit le lui permet pour prendre des photos.
Quelques miles plus loin, nous rencontrerons une deuxième plage, encore plus belle que la première. Le sable est très clair, et fin, et l'eau toujours en dégradé du turquoise au vert. Vraiment, un cadre idyllique. Il ne manque malheureusement que la chaleur. Car l'eau est tout de même assez froide... sans pour autant que cela dérange certains autochtones...
OOPS
Et c'est dans cette débauche visuelle que j'oublie où nous sommes et voyant un endroit où l'on doit absolument s'arrêter, je coupe carrément la route à une voiture qui arrive devant moi pour me garer de "mon" côté : le droit. Émotions a posteriori. Je me suis bien excusé après coup, mais le monsieur n'était plus là. Je doute qu'il ait compris ce qui lui était arrivé, tout fut si rapide...
Mais je suis resté courtois. Tout le monde est courtois, tu te souviens, lecteur assidu? J'ai dû remercier au moins 50 fois les gens qui me laissaient passer, casés dans leur niche, sans compter les remerciements adressés aux gens qui venaient de me remercier. Car il faut répondre, c'est la moindre des choses. A un moment, même, le type se gare pour me laisser la place et me remercie... d'être garé? de passer? Je ne comprends plus mais je le remercie en retour, suivant le vieux précepte écossais : "Dans le doute, remercie."
DURNESS
Nous traversons Durness, notre ville-étape, sans nous arrêter pour notre dernière visite de la journée, impromptue. Nous devions à l'origine aller voir une sable magnifique déclarée la plus belle du royaume, mais on n'y accède qu'après une marche de 7 km ! On s'arrête même de lire la description; pas pour nous, pas maintenant en tout cas. Il est 16h, et pour ma part, je suis cuit. Debout à 5h30 ce matin, j'ai conduit toute la journée, plus les gambadages dans les collines, j'en peux plus.
Nous allons plutôt voir ce cimetière non loin, à l'intérieur duquel se trouve une chapelle en ruine. C'est tout indiqué pour nous! Et effectivement, le cimetière est beau et la chapelle mangée par le lierre plus belle encore... Et devine quoi, lecteur... ils se trouvent en bordure d'une plage! Une plage encore plus grande que les autres, avec des dunes recouvertes de jonc et trouées de terriers de lapins : on ne les voit que lorsqu'ils s'enfuient, sinon, ils sont totalement invisibles, c'est curieux et comique. Il y en a absolument partout, ça court parfois dans tous les sens.
La journée s'arrête là. On a compensé pour hier et la débâcle humide des Orcades.
De retour à Durness, nous repérons de suite l'auberge de jeunesse (non, lecteur sarcastique, ne ris pas, c'est ouvert à tous les âges désormais) qui va nous héberger les deux prochaines nuits. Nous sommes en dortoir de 12. Les lits superposés sont répartis deux par deux par section dans le dortoir, séparés par des cloisons mobiles en bois.
N'ayant jamais vraiment dormi dans une auberge de jeunesse - de mon côté, ça a dû m'arriver une fois il y a très, très longtemps - on est curieux de voir comment c'est organisé. Déjà, on ne descend pas toutes nos affaires, juste le minimum. On croise les doigts qu'ils aient des serviettes car on n'en a pas. Et des prises, surtout des prises, car nous avons besoin d'une grosse puissance de recharge la nuit, entre les téléphones, les appareils photos et la GoPro.
Finalement, on nous loue les serviettes, il y a une seule multiprise pour le dortoir, sur laquelle je branche la mienne, donc nous sommes sauvés. On a à faire nos lits, par contre, et il faudra rapporter les draps en partant. L'auberge de jeunesse est constituée de 2 bâtiments allongés qui ressemblent à des hangars de l'extérieur, peints de couleurs vives. 1 bâtiment est pour l'administratif, la cuisine et le salon communs, l'autre pour les dortoirs : un dortoir homme, un dortoir femme. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes, dans l'hostelling. Verdict, demain matin.
SOIRÉE
On nous informe que le restaurant/pub le plus proche (il n'y en a que deux ici) arrête exceptionnellement le service à 7h30, pour le week-end des Highland Games. Incroyable. La période de l'année où ils accueillent le plus de monde! Nous ne cherchons pas à comprendre et nous y ruons. Les jours se suivent et les plats se ressemblent. C'est Olivier ce soir qui prend un steak pie, le bœuf en sauce avec le chapeau de pâte feuilletée, et moi une souris d'agneau sauce à la menthe, pour tester. Déception : aucun goût de menthe. Mais en même temps, c'est une carte spéciale Highland Games, donc du rapide pour tous les campeurs du camping d'à-côté venus spécialement pour la journée de demain. Le terrain est bondé, on se croirait à un festival de musique. Donc, il faudra que je goûte ce plat ailleurs, dans de meilleures conditions.
Demain, c'est fête : en plus des Games qui débutent à midi, nous nous octroyons une grasse matinée, comme nous n'avons qu'une visite le matin avant les Jeux, et elle se trouve juste à côté de l'auberge : la Smoo Cave. Mais ça, c'est pour demain. Pour l'heure, Olive est allé faire un tour se faire démonter par ces idiots de midges tandis que je suis dans le salon de l'auberge avec une famille d'Allemands qui mangent des noix ou des noisettes assez bruyamment dans mon dos. Des Asiatiques discutent le coup côté cuisine. C'est sympa, l'auberge espagnole.
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Breaking news : alors que je suis en train de relire ma prose, Olivier arrive, le sourire aux lèvres : il a vu une loutre des mers... "Tu l'as prise en photo ?
- bah non, je l'ai regardée, elle m'a regardé, je l'ai regardée et elle a plongé."
Pfff. Toutes les mêmes.
Notre Avis sur 5
... qui n'engage que nous!
Côte nord par la route : 🤩🤩🤩🤩🤩
✅ Le top, inoubliable et incontournable!
Plage de Sango Sands, Durness : 🤩🤩🤩🤩
✅ Magnifiques plage et chapelle en ruine, le cimetière est apparemment "en activité".