Pourquoi je fais de l'urbex ?
Je m'inscrirais plutôt dans la catégorie des "photo-explorateurs" artistiques : je suis fasciné par la notion même du temps qui passe (où plus justement de notre passage dans le temps) ainsi que des traces visibles de ce passage, principalement sur les constructions humaines qui ont été jadis vivantes, dans le sens où elles étaient utilisées, habitées, et furent érigées dans ce but. Leur abandon rend à mes yeux encore plus tangible l'activité qui les animait auparavant et qui n'est plus, cette vie d'un autre temps dont seules quelques traces subsistent et me lient à elle. Un voyage dans le passé où tout ce que je vois a été vu, tout ce que je touche a été touché par des êtres humains aujourd'hui effacés du monde des vivants. Une passerelle reliant le passé au présent sur laquelle je me tiens.
Je cherche à témoigner de la vie passée de ces constructions ainsi que de leur mort, cette absence de vie désormais si palpable, si présente une fois à l'intérieur. Le vide d'un lieu qui fut habité, le silence d'un endroit autrefois bruyant me fascinent et m'impressionnent - au premier sens du terme - autrement plus que si rien n'avait changé. Parcourir ces lieux devenus monuments, pénétrer dans une construction abandonnée, encore encombrée par ses machines, ses meubles, ou peut-être animée de quelques soubresauts de vie dans des objets éparpillés de la vie quotidienne d'alors, des vêtements, des jouets, me lie à leur mémoire, à leur histoire et aux histoires de ceux qui leur sont attachés; le seul témoignage de leur absence, comme un silence assourdissant, une vitre cassée, des ronces qui s'infiltrent sous une porte gondolée, des coulures d'humidité sur un mur effrité ou un jouet cassé et abandonné sur le sol me laisse une impression émotionnelle et parfois même physique de leur passage.
Un voyage immobile dans le temps. L'impression d'entrer silencieusement dans une bulle de passé, entendre de nouveau résonner les rires, les discussions, capter le souvenir de cette multitude de vies oubliées, de cette agitation qui n'est plus, de ces atmosphères pétrifiées, figées sous une surface de poussière, de moisissure ou de rouille, me mêler aux âmes disparues. Autant de ponts temporels établis entre cet "alors" et mon "maintenant". Je cherche ainsi à me faire le relai de ce lien avec le passé en impressionnant à mon tour mon capteur numérique, du mieux que je peux.
Mon rapport au temps est extrêmement complexe, la photographie en est une preuve, l'exploration urbaine une conséquence.
Toutes mes photos ne sont pas belles au sens graphique du terme, ni même artistiques, mais je m'efforce d'en rendre certaines aussi émotionnellement chargées que possible, ou du moins que le lieu m'est apparu. J'espère pouvoir susciter un sentiment équivalent chez le spectateur, ne serait-ce qu'un court instant, et le faire voyager dans le temps, dans les mémoires multiples de ces êtres qui ont vécu entre ces murs décrépis, habité sous ces toits effondrés, travaillé à ces monstres mécaniques rouillés, éprouvé joies et tristesses en berçant ce poupon oublié.
Je n'encourage néanmoins personne à se lancer dans cette activité qui peut être dangereuse. Je ne divulguerai aucune adresse des lieux visités, à moins qu'ils soient connus et déjà identifiés dans les médias. Si quelque lecteur intéressé veut se lancer dans l'aventure, les responsabilités sont les siennes et en aucune manière je ne participerai à lui faire prendre des risques.