Aujourd'hui, c'est journée insulaire. Nous nous trouvons sur l'île de Skye, la plus grande île des Hébrides intérieures, à l'ouest, qu'on appelle également "l'île des brumes". On comprend vite pourquoi, ce matin. Si l'on voit bien le pied des montagnes, en particulier les majestueuses Cuillins Hills, elles ont bel et bien la tête dans les nuages. Le ciel est bas, très bas, et il bruine ou il pleut par intermittence.
Après le petit déj dans notre auberge de jeunesse assez class il faut le dire (les chambres sont verrouillées par cartes magnétiques, salon et salle à manger modernes, grandes baies vitrées sur le petit port et le loch), nous chargeons la voiture sous la pluie. Ma cheville a légèrement plus enflé que hier, mais je peux marcher sans trop de douleur, et c'est tant mieux.
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Nous avons tout le nord de l'île à parcourir ce matin, avec certains arrêts programmés : Old Man of Storr, une grande aiguille rocheuse qui surplombe la vallée, puis sur la route qui suit plus ou moins le littoral, une cascade (Mealt Falls), avant de couper par la traversée d'un massif de montagnes. C'est bien chargé, tout ça, surtout pour nous et surtout en sachant que nous devons impérativement être à Talisker dans le sud-ouest pour 13h afin de visiter la distillerie du même nom. On va essayer de ne pas la manquer, cette fois.
STRESS
La matinée n'est pas folichonne. Le temps n'est pas de la partie, il ne cesse de pleuvoir ou de bruiner, les montagnes sont cachées derrière de gigantesques et épais rideaux grisâtres. Le Old Man of Storr? On le verra de loin (heureusement qu'on s'arrête souvent) mais dès qu'on se rapproche, il disparaît complètement. On poursuit notre route vers le nord. Nous avons en plus l'esprit préoccupé par le niveau de la jauge d'essence. En partant de Portree plus tôt, nous n'avons pas croisé une seule station service. Nous avons continué en pensant qu'il y en aurait sur la route, dans les petits patelins. Mais rien. La seule que nous croisons, et nous faisons demi-tour pour nous y arrêter, est fermée avec un panneau disant "En attente de livraison".
Effroi. Mon Dieu, ils sont en pénurie de carburant ou quoi? Il nous reste à présent encore 48 miles d'autonomie, ça va, mais la route monte et descend beaucoup parfois, et on doit consommer pas mal. Nous continuons notre route, les fesses serrées.
L'ambiance est morne dans la voiture. Personne ne parle, chacun s'inquiète de savoir comment on va pouvoir se faire dépanner sur une route de montagne à une voie dans le cas d'une panne d'essence. On voit une habitante et on lui demande où se trouve la station la plus proche. Elle nous indique celle d'où nous venons et lorsqu'on lui dit qu'elle est fermée, elle hausse les épaules et nous répond que dans les parages, il n'y en a pas d'autre, à part à Portree. Tssss, on en vient et on n'a rien vu. Bon en même temps, on ne les a pas trop cherchées. Mais quand même, on parle de station essence, pas de boucherie chevaline, non plus!
Nous renonçons à couper la pointe nord-est par le massif montagneux lorsque le panneau à l'intersection annonce une route à 15% d'inclinaison. Nous sommes à 24 miles restants maintenant et on ne sait toujours pas quand on pourra faire le plein. Cela promettait d'être magique pourtant... Et c'est bien de magie dont on aurait besoin maintenant, pour remplir le réservoir! Bye-bye les Quiraings.
De l'autre côté de la pointe, que nous avons finalement contournée complètement : Uig. Non, ce n'est pas un faute de frappe, ni ma cheville qui me relance et me fait gémir. C'est une charmante petite ville portuaire (comme toutes les charmantes petites villes sur Skye). Aaah, Uig... son port, ses côteaux, ses cottages blancs, son ferry... Et sa pompe à essence ! On voit le panneau de très loin, d'en haut de la colline. Tout le temps de la descente vers le port, on croise les doigts qu'elle ne soit pas fermée. Et non, elle ne l'est pas. C'est l'épicerie-station service du coin, avec une vendeuse aussi gracieuse que ma copine Linda au réveil (Linda, si tu nous lis...). Nous en profitons pour faire les courses du midi et reprenons la route, le cœur léger.
Nous nous autorisons même quelques demi-tours dantesques sur voie unique, juste parce qu'on est au max d'essence, ouais, on peut rouler jusqu'au bout de la nuit, si on veut, on est comme ça, nous. Des gros rebelles. Bon, on ira au moins jusqu'au bout de l'île et on avisera après.
WHISKY !
Cette visite de la distillerie Talisker nous emmerde un peu, à vrai dire. Pas la visite en elle-même, mais le créneau où elle est placée. En plein milieu de journée, alors qu'on n'a pas eu le temps de faire la moitié nord de l'île comme on voulait. Tant pis. Nos voyages ne sont faits que de renoncements et bonnes surprises. Là, on est plutôt sur du renoncement. Nous n'avons pas le temps de pousser plus loin la découverte du territoire car de là où nous sommes, il nous faut une heure pour nous rendre chez Talisker.
Nous prenons donc tranquillou la route de la distillerie, la seule et unique sur l'ile, et nous mangeons en chemin devant un joli tableau. Que dis-je : une scène grandiose de montagnes aux pics acérés à moitié baignés de soleil avec en premier plan un troupeau de moutons qui paissent dans la vallée du Loch Harport (pour toi, lecteur précis qui aime les détails essentiels). L'île est tout de même magnifique : elle déploie des paysages sublimes, alternant landes et tourbières, falaises et côtes basses, aux reliefs tantôt vertigineux, tantôt à la courbe caressante... Nous passons la journée à nous émerveiller des paysages traversés. Les nuages et le soleil jouent avec les pics rocheux, on se croirait dans une superproduction hollywoodienne. À ceci il faut ajouter une touche d'exotisme, comme par exemple la présence marquée et assumée de la tradition celte, avec la langue gaélique que nous voyons partout ici, notamment sur les panneaux routiers : même avant l'anglais.
12h45: alerte. On est en retard pour la distillerie, et en plus, pour une raison inconnue, nous sommes sur la mauvaise route ! Ah non, pas deux fois ! On arrive finalement à 13h09 précises pour 13h15. A peine avons-nous acheté les billets que le guide prend notre groupe en charge pour une visite de 45 minutes. Ouf.
La distillerie existe depuis 1830, actuellement détenue par un grand groupe qui n'en possède pas moins de 27 autres... De taille humaine, ce n'est pas un gros mastodonte de la production (on est quand même à 6 millions de litres/an) mais elle est néanmoins considérée comme faisant partie des meilleures en Ecosse. Le guide nous explique évidemment tout le processus de fabrication du single-malt whisky, avec cette spécificité dans l'ouest écossais que les graines d'orge sont séchées au feu de tourbe qui dégage beaucoup de fumée, ce qui lui donne par conséquent un goût fumé assez surprenant au premier abord, mais si savoureux.
Notre première logeuse à Edimbourg m'a fait goûter ce whisky tourbé, de cette distillerie, le quatrième matin, tu te souviens, lecteur? Cela tombe finalement bien que nous ayions manqué la visite du monstre Glenfiddich, qui lui se trouve dans l'est, et n'est donc pas tourbé. La visite est très intéressante et la découverte des salles de production passionnante avec leurs énormes cuves de distillation en cuivre.
La fin de la visite est marquée par la traditionnelle dégustation, au cours de laquelle, entre autre, le guide nous explique pourquoi il ne faut pas mettre de glaçon dans un bon whisky mais juste quelques gouttes d'eau, pour en déguster pleinement les subtiles saveurs. Mise en application directe dès le retour, je m'en fais la promesse (il est des promesses plus faciles à tenir que d'autres, je ne te cache pas, lecteur...).
ERRANCE
14h et des chardons, nous sommes sortis de la giftshop de l'usine. Quelques minutes plus tard, nous y sommes de nouveau : envie pressante commune qui nous fait faire demi-tour en voiture car... ben on ne peut pas faire autrement! (Je te rappelle aimablement, lecteur potentiellement offusqué, que ce blog n'est à l'origine destiné qu'à un usage privé, et que je poursuis dans cette optique!)
Nous avons rendez-vous avec des fées. Nous ne les avons pas trouvées, ce matin, dans leur Fairy Glen. On a dû rater le panneau (comme Pentax qui conduit en ce moment et qui est en train de faire demi-tour car on n'est plus sur la bonne route depuis 3 miles...). Donc, il y a des fées aussi dans le sud de cette île, mais cette fois-ci dans des bassins, aux Fairy Pools, en fait une dizaine de petites cascades décorant la descente d'un ruisseau de montagne.
Ce n'est pas très loin. Une fois arrivés, une vingtaine de minutes après, c'est une mi-déception : les cascades sont bien là-haut, des "cascadettes" vraiment, sur le flanc de la montagne, un sentier y mène, mais rien n'a l'air exceptionnel si ce n'est le nombre de touristes qui s'y pressent. Pfff. Je sors de la voiture, m'empare du couteau traditionnel que l'on porte dans la chaussette droite, juste en-dessous du genou, avant le bord du kilt, et je me lance dans une frénésie de lacérations de pneus. Quelle libération de leur pourrir à tous la vie, eux qui nous la pourrissent si souvent! J'aimerais être là lorsqu'ils reviendront tous et découvriront le désastre. Mais comme nous sommes lâches, nous repartons illico, au cas l'un d'eux serait vraiment en colère, et courrait vite en plus.
Il nous reste un endroit à voir, mais il est désormais trop loin car nous avons encore deux heures de route pour sortir de l'île et rejoindre notre chambre de ce soir, à Fort William. Nous prenons donc la route, décidant qu'en chemin nous aurons plus de temps pour nous arrêter prendre des photos si les endroits traversés en valent la peine. (Réponse : oui, ils en valaient la peine.)
Ah oui, j'oubliais : avec un temps pareil, bien que la pluie ait quasiment complètement cessé de tomber cet après-midi, nous n'avons jamais vu autant d'arcs-en-ciel qu'aujourd'hui : au moins trois, de mémoire. Dont le dernier qui était double. Ça pourrait compter pour quatre.
(Je suis contrit. Je me suis rendu coupable d'une désopilante boutade plus haut, sans l'annoncer. L'as-tu découverte, lecteur attentif ? Je n'en doute pas !)
SOIRÉE
Notre chambre est dans une autre auberge de jeunesse, la dernière du voyage. C'est bien mais il ne faut pas abuser. Celle-ci ne fait pas partie du réseau international Youth Hostel, elle est privée. Ça se voit de suite : moins clean, plus petite aussi. On nous donne la chambre "Rhum". Ils me connaissent ou bien?
A l'intérieur, nos colocataires d'une nuit sont un groupe de copains, des Français, qui ont dû passer quelques heures enfermés parce qu'en entrant c'est une bonne vieille odeur de chafouin qui nous accueille. Ma parole, j'ai l'impression d'être au boulot, dans ma classe, après une heure de cours et une trentaine de respirations d'ados. Il va falloir penser à ouvrir la fenêtre à un moment donné !
Nous montons nos affaires et eux partent rapidement pour dîner. Nous les suivons peu de temps après. Il faut toujours garder à l'esprit que le service arrête souvent à 21h.
Ici, j'ai l'impression qu'on est dans la nouvelle banlieue de Fort William. Il y a des habitations mais peu de commerces. Juste un pub et un resto. On opte pour le pub, où nous retrouvons les Français. Et d'autres Français. Il n'y a que de ça dans la salle, quelle horreur.
Petite balade digestive pour le retour, qui nous permet de découvrir une curiosité locale : l'escalier de Neptune. Ça pète, comme nom, hé ? Il s'agit en fait d'une série de neuf écluses en enfilade qui permettent aux bateaux de descendre à vue de nez un dénivelé d'une cinquantaine de mètres pour rejoindre un canal. Etonnant.
Demain, moins de stress, on peut se lever plus tard. Nous avons rendez-vous avec le Hogwarts Express en milieu de matinée, ou pour les francophones : le Poudlard Express.
Notre Avis sur 5
... qui n'engage que nous!
Ile de Skye : 🤩🤩🤩🤩
✅ Sauvage, paysages magnifiques. Randos à faire si tu as le temps.
Distillerie Talisker (ou autre) : 🤩🤩🤩🤩
✅ Très intéressant.
❌ Attention à bien choisir une visite avec dégustation, certaines distilleries n'en proposent pas.
Old Man of Storr, Mealt Falls : 🤩🤩🤩
✅ A voir, si on aime la nature et les grands espaces.
Fairy Pools : 🤩
❌ Succession de petites cascades à flanc de montagne, parmi les touristes